Sektion 6

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Écritures de la violence en Afrique centrale

39. Romanistiktag Universität Konstanz | 22.–25. September 2025

Sektionsleitung und Kontakt
Susanne Gehrmann (Humboldt-Universität zu Berlin)
Marie Guthmüller (Humboldt-Universität zu Berlin)

Après l’histoire traumatisante de l’esclavagisme et de la colonisation, la plupart des pays d’Afrique centrale a connu des violences postcoloniales. En Angola et au Mozambique, les guerres d’indépendance ont été suivies par des décennies de guerre civile. Au Congo et au Cameroun, les révolutionnaires indépendantistes Patrice Lumumba et Ruben Um Nyobè ont été assassinés. Des régimes dictatoriaux répressifs ont sévi ou continuent à sévir en République centrafricaine, au Congo-Kinshasa, au Congo-Brazzaville et en Guinée équatoriale. Les conflits dans la région des Grands Lacs se poursuivent depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Les pogromes au Burundi et au Rwanda ont culminé dans le génocide rwandais de 1994, suivi de contre-violences dans les camps des réfugiés au Zaïre et d’une multiplication de « rébellions » dans la région. À la violence politique, caractérisée par la torture et les « disparations », et la violence des forces armées qui inclut les viols systématiques s’ajoute la violence structurelle dans le domaine social, quotidienne dans des pays à l’inégalité économique extrême, ainsi que la violence épistémologique, héritage du colonialisme qui continue à écraser les systèmes de savoir autochtones.

L’atelier proposé voudrait analyser les littératures postcoloniales de langue française, portugaise et espagnole d’Afrique centrale (y inclus les diasporas) sous le prisme de leur rapport à la violence. A quelles formes narratives les textes littéraires recourent-ils pour mettre en scène la violence ?  Quelles figures la poésie utilise-t-elle, quels procédés dramatiques le théâtre met-il en œuvre pour figurer la violence, pour rendre visibles ses origines et ses mécanismes et pour les remettre en question ? Quel est, dans le cadre de la production littéraire, le rôle des témoignages (récits des survivants et des bourreaux) ? 

Nous nous intéressons en particulier aux éventuels changements de paradigme dans l’écriture littéraire de la violence, aux innovations génériques et esthétiques. Par exemple, si dans les années 1970 et 1980 de nombreux romans et pièces de théâtre mettaient au centre la figure du dictateur « père de la nation » et optaient pour un style grotesque afin de frapper au centre du pouvoir (p.e. Sony Labou Tansi, Henri Lopes), on observe depuis les années 1990, et surtout au XXIe siècle, que la littérature s’intéresse de plus en plus aux marginaux empêtrés dans les actes de violence et à leurs stratégies de survie (p.e. In Koli Jean Bofane, Emmanuel Dongala, Ungali Ba Kha Khosa). Les protagonistes et narrateurs sont désormais souvent des enfants, des personnes âgées ou même des animaux dont le regard en apparence naïf sur les actes de violence révèle d’autant plus leur absurdité. Dans son Manifeste pour une nouvelle littérature africaine (2007), Patrice Nganang propose ainsi le terme générique « le roman des détritus » pour ce type de récit qui focalise la perspective des sans-pouvoirs. Au grotesque semble succéder un néoréalisme qui réintroduit des structures narratives de l’oralité et du picaresque (au sens large).

Même si la littérature d’Afrique centrale continue de se pencher particulièrement sur les événements actuels ou récents, on observe en même temps une montée en puissance d’une forme de roman que l’on peut qualifier d’historique. On trouve ainsi des romans qui revisitent les violences de l’époque esclavagiste (Wilfried N’Sondé : Un océan, deux mers, trois continents, 2018), de l’histoire coloniale (Scholastique Mukasonga : Kibogo est monté au ciel, 2020) et de la résistance (Max Lobé : Confidences, 2016). Les Camerounais Patrice Nganang et Léonora Miano ont opté pour la trilogie romanesque comme forme pour dire la complexité de l’histoire locale et nationale (la trilogie camerounaise de Nganang) ou transcontinentale (la trilogie africaine de Miano sous forme allégorique). 

S’il est vrai que la littérature reste un moyen privilégié pour retravailler des expériences traumatiques violentes, on observe parallèlement une remise en question fondamentale de la possibilité d’un souvenir fiable et approprié. Si les formes littéraires hybrides (Abdourahman Waberi, Moisson des crânes, 2000 ; Véronique Tadjo, L’ombre d’Imana, 2000) issues du projet « Écrire par devoir de mémoire » exprimaient déjà ce doute, le roman Le passé devant soi (2009) du Rwandais Gilbert Gatoré, mais aussi Teoria geral do esquicemento (2012) de José Eduardo Agualusa qui parle de l’indépendance angolaise déconstruisent davantage le rapport de l’écriture au réel tout en démontrant la force manipulative des technologies du pouvoir et de la violence. 

Dans ce sens, notre atelier s’ouvre également à la question des « nouvelles technologies » et porte son regard, d’un côté, sur la manière dont les textes littéraires mettent en scène les « technologies de la violence » utilisées dans la « postcolonie » (Achille Mbembe). Par « technologies », on peut entendre, au sens précité, les mécanismes et les outils utilisés pour opprimer, contrôler et manipuler la population, non seulement les moyens physiques comme les armes et les systèmes de surveillance, mais aussi les structures et les discours institutionnels qui fondent et maintiennent les rapports de force. Les technologies médiatiques sont particulièrement importantes : les dirigeants postcoloniaux les utilisent ainsi pour perpétuer les récits coloniaux sous d’autres formes et asseoir leur propre légitimité. En même temps, on peut entendre par « technologies », au sens foucauldien du terme, les procédés par lesquels les sujets se conçoivent et se forment en tant que tels (« techniques de soi »), y compris l’écriture. À la question des technologies de la violence s’ajoute donc celle des technologies narratives discursives. 

Les contributions sur l’analyse de textes individuels d’Afrique centrale ou de sa diaspora sont tout aussi bienvenues que celles sur des genres littéraires exemplaires ou sur l’une des littératures nationales de la région. Nous sommes particulièrement intéressés par les réflexions systématiques sur la manière dont les théories de la violence sont abordées ou élaborées dans la littérature postcoloniale. Les contributions sur les littératures francophones, lusophones et hispanophones sont pareillement bienvenues. La langue de travail principale de l’atelier est le français, mais des présentations en anglais sont également possibles. 

Merci d’envoyer vos propositions à susanne.gehrmann@hu-berlin.de et marie.guthmueller@hu-berlin.de.